CDI & Culture

La visite des étudiants kanaks vue par les ébénistes lors des JPO 2015 – ven 27 fév

Par MAGALI MOUREY, publié le mercredi 1 avril 2015 11:52 - Mis à jour le mercredi 11 octobre 2017 15:21

A l'unanimité, les élèves présents ont trouvé le moment extrêmement émouvant.

Lors de l'arrivée des étudiants, ainsi que nous l'avions appris lors de la conférence, Ambroise Kamodji (le fils du chef de la Tribu de Saint-Louis) nous a offert au nom de tous des cadeaux, comme le veut la coutume : un collier de coquillages et des étoffes (un tee-shirt et un paréo) pour symboliser le lien tissé entre nous.
Le paréo représente Grande-Terre et les îles, ainsi que les principales communes de Nouvelle-Calédonie. Cela nous a permis de bien situer ce qu'ils nous racontaient, car chaque étudiant a pu nous montrer d'où il venait sur la carte.

Nous avons donc commencé par présenter le projet du long pan. Lorsque nous avons entrepris le projet de restauration, nous avons voulu connaître et comprendre le contexte historique autour de ce meuble. Nous avons donc découvert le gouverneur Charles Guillain, la colonisation et tout ce que nos ancêtres colonisateurs ont fait subir au peuple kanak... : les expropriations, l'évangélisation, les rassemblements dans les missions...

Cela a donné lieu à un moment très intense, chargé d'émotions. Nos invités ont été très étonnés que nous nous intéressions autant à leur histoire. Longtemps, les manuels scolaires de Nouvelle-Calédonie ont été uniquement basés sur l'histoire de France métropolitaine, et ont totalement ignoré l'histoire de leur pays. Seuls les récits racontés dans les familles témoignaient de la violence de l'époque. Ces événements sont pourtant assez récents, car ils ont été directement vécus par les propres grands-parents de nos invités.
Les informations historiques et culturelles que nous avons pu collecter ont demandé un important travail de recherche.

La justesse de notre travail, la façon dont nous avons tenté de comprendre leur culture, leur histoire, a donc donné lieu à un grand moment d'émotion. Cela a été tellement intense que plusieurs filles du groupe ont demandé à s'assoir.
Ambroise est le fils du chef de la tribu de Saint-Louis, au-dessus de Nouméa. Il nous a expliqué que sa Mission est la seule mission catholique tolérée aux alentours de Nouméa, où l'on a parqué lors de sa création des gens venant de toute la Nouvelle-Calédonie, avec des particularités diverses, langues différentes... Il nous a parlé des robes de missionnaires, dont nous avions un exemplaire en exposition au CDI, qui ont été conçues pour habiller « décemment » les femmes des tribus.
Aujourd'hui, la langue commune, imposée est le français. Il reste cependant sur la Grande Terre et les îles, 28 dialectes officiellement reconnus et parlés sur les 33 communes existantes.

Nos visiteurs kanak nous ont raconté que leur arrivée sur Toulouse a été très difficile.
Ici, ils sont considérés comme des étrangers, alors que depuis qu'ils sont petits, on leur répète qu'ils ne sont pas kanak, mais français...
Ce sont des étudiants, venus en France pour apprendre à être éducateurs spécialisés, car il n'existe pas d'école en Nouvelle-Calédonie.
Suite à l'histoire difficile de l'archipel, les kanak ont besoin de travailleurs sociaux pour reconstruire le pays. Malheureusement, ils n'ont pas d'autre choix que de venir faire leur scolarité en France, à l'autre bout du monde, où ils se sentent déracinés.

Ambroise et ses « soeurs », comme il les appelle, ont été très étonnés par la justesse de notre exposition. Les expositions sur l'Art et la culture kanak sont souvent organisées par des kanak. Ils ont été émus que des jeunes s'intéressent ainsi à leur culture, et donnent un point de vue extérieur sur leur histoire et leurs coutumes. L'émotion leur a noué la gorge : c'est l'histoire de leurs familles, de leurs peuples que nous avons tenté de raconter. Des familles qui ont perdu un nombre important de leurs membres, puisque la population kanak a été réduite des deux tiers pendant cette période.

Ambroise a bien insisté sur le fait que nous ne devions pas nous sentir coupables. Il nous a dit qu'il fallait laisser les vieilles rancœurs derrière nous. Les vrais coupables ont disparus depuis longtemps. Il est temps pour nous d'avancer tous ensemble, de créer du lien, d'apprendre à se connaître et se respecter mutuellement.

L'idée de la création du meuble à idole, « fusion » entre notre savoir-faire à l'européenne et l'art kanak, à beaucoup plu à nos invités. Ambroise a soulevé un point important : il souhaiterait nous mettre en lien avec un sculpteur kanak, résidant sur Toulouse, pour que nous puissions graver le pied du meuble à la manière kanak.
La sculpture, en Nouvelle-Calédonie, n'est pas qu'esthétique, c'est un acte spirituel. Les kanak ont des cérémonies, des rituels, pour choisir le bois, pour le couper, pour le travailler. Ils sont conseillés par les esprits de leurs ancêtres, leurs « vieux ». Un sculpteur kanak ressent le bois, le respecte et le sculpte en y mettant une intention. Les sculptures racontent une histoire, les symboles ont des significations précises.
Le pied du meuble devrait donc être gravé de manière à ce que les kanak soient capables de lire l'histoire de notre rencontre et du lien qui s'est tissé entre nous.
Cet été, lorsqu'il rentrera en Nouvelle-Calédonie, Ambroise pourra parler aux autres chefs de tribus, leur raconter notre échange et ils pourront aller voir notre meuble au Musée de Nouméa, en souvenir de cet événement.

C'est une belle histoire à raconter, un geste que nous souhaitons faire : redonner du respect à un peuple qui a été durement opprimé. Conserver un souvenir d'un moment unique.

Photo de Ameublement Revel.